14.6.05

Le carrefour des mort-vivants

Et un jour, apparemment, on se relève. On ne meurt pas, gisant. On agonise, tout au plus, parfois longtemps, puis on se met debout et l'on marche. De toutes les fois où l'on se dit : «Ça y est, je meurs», rares sont celles où le sentiment se trouve avéré.

Or, seul, debout, avec plus personne au chevet, personne qui soit accroupi au dessus de soi, plus de fleurs sur la petite table, on n'a plus alors le choix que de se glisser les pieds dans des sandales de cuivre ou de fonte, puis de se mettre en route.

Déjà c'est un processus laborieux. Pour qui n'en a pas l'habitude, se relever de la mort n'est pas chose facile. Lapalissade. Grotesque. Les morts aujourd'hui sont mis sous verrous, avant d'être mis sous terre, alors imaginez! Il n'y a qu'aux fous à qui on donne des ailes -- de belles grandes ailes «H» de béton et de brique, spacieuses et hospitalières. Les morts vivants, ces nouveau nés aux pas pesants n'ont pas cette chance. Ils avancent lentement, autour du carrefour, n'anticipant aucune décision quant à la direction qu'ils prendront. Ils savent qu'ils tourneront, longtemps, rondement, et ne choisiront peut-être même jamais leur route.

Le carrefour des mort-vivants est un petit cimetière où des hommes et des femmes, qui hier forgeaient des structures incroyables, sont empilés à la verticale dans des cercueils verrouillés qui s'ouvrent par devant. Lorsque la pluie tombe en hordes de goutelettes serrées, on en voit de ces zombies rompre leur carapace de bois et de fer, pour se lever péniblement. En dépit de ce spectacle qu'on imagine effrayant, l'endroit n'est pas si lugubre. Seulement triste.

Triste comme un aéroport où tous les passagers partiraient pour toujours en bimoteur.