13.2.05

La quatrième lettre (l'extrême onction)

Le clergé a bien pu s'embourber dans plein de mensonges, c'est trop facile de construire pierres sur Pierre plein d'églises. Le savoir est une pierre. Froid, gris, lourd et pas toujours beau. Voilà. À quoi bon ériger des cathédrales, on sait bien qu'un jour ou l'autre, le soleil ne les éclaire plus de la même façon et leur beauté meurt en même temps que notre foi.

Je n'ai plus foi. Je ne crois plus. Cette histoire est l'essence même de la religion. Un beau mensonge auquel on a cru et qui mourra dans une dégénérescence honteuse. Mieux vaut lui administrer l'extrême-onction anticipée. Meurs, christ. Je t'offre la vie éternelle dans l'au-delà, pas ici.

Je t'enterrerai dans ton trou au fond du Jardin que t'as tout défiguré, Savoir de Christ. Que repousse l'herbe et qu'il ne reste plus des cathédrales que quelques ruines que l'on fera visiter aux touristes français qui n'en auront jamais vues d'aussi grises.

Je descends sur le bitume, malandrin défroqué. Ça colle. Ça sent le goudron. C'est sale. C'est la rue Victoria.

Je vais mieux.


-G

Un matin où la cloche n'a pas sonné

J'avais pris l'habitude en ces jours de me réveiller un peu avant le soleil. Je me rendais aux matines, suspendu par un lacet qui s'était trouvé dans ma main aux hasards d'une randonnée. Alors qu'il n'était, le jour où je l'avais adopté, qu'un petit lacet de soulier, il avait grandi pour devenir une longue corde solide, qui permettait de sonner une cloche.

Les débuts de journée s'étaient crystalisés en une routine simple. J'ouvrais les yeux et je glissais le long de la corde, en freinant brusquement à distance égale, sonnant ainsi la cloche qui se trouvait à l'une des extrémités. Mes collègues, amis, répondant au vacarme religieux et fidèles comme le chien de Pavlov, venaient avec moi s'abreuver au premier office.

* * *


Vint une longue nuit d'insomnie, puis un matin, où je ne savais plus... Tout s'entremêlait, et l'heure du lever ne vint jamais, ou trop vite, même encore, je ne sais plus.

Le soleil brillait, mais il faisait très froid. Quelques flocons dans les ouvertures du clocher. Je me suis passé la tête dans l'une d'elle. Une bourrasque de vent m'a glacé les tempes. Le regard fiévreux sur le jardin... Je ne vis pourtant plus rien que des flocons, entassés, sur un chantier, une mine à ciel ouvert. Le centre du jardin était une cicatrice. Une plaie, béante, au milieu de cathédrales qui s'élevaient. On ne distinguait plus le niveau du sol. Il n'existait plus. On ne distinguait, par ailleurs, personne, dans le jardin.

Le lacet, la très longue corde qui devait sonner la cloche n'était plus en poste. Plus précisément,il ne restait plus que le noeud, fixé bien solidement à la cloche. La corde s'était rompue quelques centimètres plus loin. je descendis par l'escalier de pierre.

La troisième lettre

J'ai pris à droite, au sortir de la première cathédrale. Il se faisait tard. C'était une erreur, une minable erreur de parcours, un oubli, une confusion trop passagère. J'étais seul, j'étais hors de la vue de tous, j'étais hors de mon propre regard. J'ai péché, mon père. J'ai oublié.

- G.

6.2.05

Les tours du Jardin

Le savoir m'imprégnait, entrait en moi par chaque pore de ma peau. Je le consommais, je m'y vautrais. Mon esprit et mon temps étaient exclusivement consacrés à l'acte d'acquérir la connaissance. Je n'avais plus pour seule ambition que de faire miennes les notions de chaque discipline. Je n'existais plus qu'en puissance : j'étais un potentiel dictionnaire, l'Encyclopédie, une base de données, une bibliothèque d'archives et de calculs, prête à régurgiter. Je ne connaissais plus le goût de la bile, mais sa composition exacte.

J’organisais et j'empilais les connaissances de manière à ce qu'elles forment de nouvelles cathédrales, qui s'élevaient chaque jour autour du Jardin. Leurs clochers étaient d'immenses tours, infinies, d'où contempler l'univers connu de l'Homme. Ici, l'Amazonie, et là, le Taj Mahal. J'avais tracé les constellations sur des feuille de verre, et les cellules végétales étaient gravées dans la pierre d'un clocher.

Montréal, à cette époque, ne vivait plus. C'était une carte, c'était la ruine ou une série de calculs, de statistiques. Ce pouvait être aussi une île d'Amérique du Nord ou Ville-Marie, où jadis Maisonneuve avait pesté contre le froid et les accumulations de neige blanche. L'extérieur du Jardin n'avait rien de ce Montréal. Il était sale. Noir. Goudronné. On y voyait encore des échelles de cordes, vieilles et usées. On les sentait honteuses lorsqu'elles apparaissaient près d'un clocher. Elles n'étaient qu'un leurre de facilité; il fallait construire des escaliers pour s'élever.

Et je taillais la connaissance à même le sol, et le Jardin se découpait en reliefs. Mes collègues, amis, les êtres bestiaux, me servaient de point d'appui pour extraire de la Terre ses plus lourds secrets, que je portais à bout de bras au sommet des Cathédrales, afin qu'on les vît bien exposés.

En ces temps, le soleil rayonnait toujours et se fracassait sur les hautes tours du Jardin. Je me nourrissais d'herbe et de savoir, et j'étais vêtu de longs tissus noirs luxueux et confortables. Le soir, je m'endormais au sommet des Églises.

4.2.05

La deuxième lettre

J'avais faim. Je regardais les êtres bestiaux se nourrir et j'y ai cru. Mais l'herbe est un aliment malsain. L'herbe n'est pas un aliment. Tout ce dont on peut se nourrir ici donne la nausée. On ne peut pas se nourrir, ici. Il n'y a que la bile, et elle circule en sens inverse.

- G

Le Jardin II

J'ai erré longuement au jardin.

Je me réveillais tôt, le matin, pour observer les êtres bestiaux trouver leur pâture. Bientôt, je fus des leurs, me nourissant d'herbe tendre et de prières. J'avais appris à différencier l'herbe douce de l'amère. Mon goût se développait, se raffinait, et je savais désormais où, dans le Jardin, trouver le gazon que je préférais.

Il en allait de même pour les prières. Des prêtres enseignants de tout acabit disaient les messes, en latin, en grec, et parfois même en hébreux. Et j'étais libre de choisir celles que je voulais entendre. J'eus tôt fait de croire en Dieu, sous ses différents aspects.

Il était, je dois l'admettre, beaucoup moins engageant d'avoir des dettes envers quelqu'un que je ne verrais jamais, ou alors beaucoup plus tard, que de m'imaginer responsable de ma propre vie. Dieu, dans sa perfection, ne me demandait rien d'autre que mon amour, et en revanche, m'accordait tout à crédit.

Le Jardin était chaque jour plus magnifique, et se chargeait de couleurs. L'herbe avait atteint sa pleine maturité, et toute son amertume avait laissé place à un léger goût sucré. Les différentes chapelles s'étaient transformées sous le soleil ardent en de hautes et resplendissantes cathédrales, dont les pierres éclataient de reflets roux et dorés. Leur intérieur s'illuminait, par des centaines de vitraux, qui nous faisaient voir toute la connaissance acquise jusqu'à ce jour par l'Homme.

Lorsque le soir tombait, je recopiais inlassablement les écrits des Anciens dans de nouvelles reliures, que l'on pourrait transmettre aux générations futures afin que le Savoir ne se perdit pas. Grâce à Dieu et ses représentants sur terre, mon existence n'était pas vaine : je trouvais une pleine valorisation dans l'idée que je puisse contribuer à maintenir l'humanité dans l'état de bonheur où je vivais moi-même.

Par ailleurs, les êtres bestiaux m'étaient devenus sympathiques. Je les appelais maintenant «collègues», «amis». Mon amour pour eux était la seule condition à la splendeur du Jardin et à la grandeur de ma vie. C'est du moins ce que je croyais.

* * *


Je me rendais chaque matin aux abords de l'océan goudronné, et me laissais imprégner par l'air malin des vagues de la grande ville. Mon bien-être était incontestable, mais je savais pour l'avoir vu jadis que tout l'univers ne se résumait pas au Jardin. J'aspirais, j'aspirais toujours. À comprendre comment sortir du Jardin, en l'emmenant avec moi outremer.

Ne trouvant aucune réponse, le regard fixé sur l'horizon de crystal dépoli, je songeais à tous ces gens qui, les pieds englués, demeuraient immobiles. Je retournais au Savoir, constatant qu'il me fallait encore en acquérir pour faire du monde un immense Jardin.

3.2.05

La première lettre

Voilà quelques temps que je suis au Jardin. J'ai découvert, au centre de flots humains, une épave de petite chapelle de pierre. Grise et froide comme la messe en latin, elle s'effondre au gré de la pluie qui coule maintenant sur le Jardin. Le ciel et les êtres bestiaux préfèrent se réfugier à l'intérieur des bâtiments. La laine des moutons est de plus en plus grise et leur pâture, de plus en plus humide.

Un air lourd et chargé m'est tombé sur la tête. J'en ai des ecchymoses, mais heureusement, le coup est parti dans une autre direction : je suis épargné. J'ai la vie sauve.


- G.