22.3.06

envie de vomir non réprimée

Elle t'appartient, vieille génération qui rêvait de farniente, bien étendue sur une plage de sable raffiné. Tu rêvais de grande vie, de liberté, et l'on sait que tu n'es grand et libre qu'à sirotter un jus d'orange, préssée à même l'arbre. On dit de l'humain qu'il est capable du pire et du meilleur, de toi que tu est vieille et molle.

On dit aussi t'avoir vue aujourd'hui courbée, endolorie des brûlures d'une vie à cuire dans nos fours, 100% fraiche, 100% blanche, 100% pure, triée à la main, cuisinée des meilleurs ingrédients, mais tu n'as plus la saveur d'antan. Ça ne s'améliorera pas, dis-tu. Certes, non. Tu sais ce qu'on dit de tes petits enfants?

Ils sont lâches. Ils sont violents. N'ont plus de morale. Baisent à 12 ans. Se déchirent l'anus à 14. Fument. Boivent. Se droguent. N'est-ce pas qu'ils sont beaux, tes petits enfants?

Ils sont vils, prétentieux, superficiels. Ils se vêtissent de ridicule. Ils flashent.

Ils profitent de la vie qu'on leur a détruite avant de la donner.

Comme si c'était un vrai blog.

Allé voir munich hier. Merde, Spielberg est une loque. Un téléviseur explosé. Un radio sur «mute». Un excrément. une pustule sur la face du cinéma. Un oisillon à la cervelle écrasée sur la branchaille du nid familial. C'est une plaie béante sur la poitrine vulgairement exposée de Marie-Josée Croze, d'où s'école le sang visqueux de ses créations.

Merde, quel con.

2.3.06

Professionnel...

- Je ne suis pas tout à fait certain de ce que j'avance... À ma première lecture, vers le dixième chapitre, j'ai eu l'impression que l'auteure voulait nous faire ressentir...à la relecture, ça a plein de sens...
- Évidemment!
- En fait, l'idée se développe... peut-être pas la culture ...
- Vous êtes ici pour.. ..qu'à me demander...
- ...intéressant de voir... le sentiment présenté dans tous les chapitres... en fait le même que ressent...à cette différence près...comme une mise en abyme du propos...le sentiment...l'émotion...vivement...pour ma part, je doute que...
- mais non, mais non... c'est une évidence... pas être un génie pour...
- pardon, ça...
- ... l'ai su dès le premier chapitre...
- Bien sûr, comme je vous disais... les références... pas le «background»...
- ...l'expérience.... mes connaissances...
- Oui,... qu'une ébauche...
- ... pas même une...Moi ... conseillerais...
- ...un conseil comme un ordre...
- ... n'aviez pas la culture ... moi...
- Il me semble ... capable de m'interroger...
- Moi, je ... Vous êtes libre, mais je vous conseille, parce que je... moi... d'habitude...
- Que faut-...
- Les étudiants... j'ai raison... je SAIS que... d'autant plus que je connais bien le correcteur, dit-il d'un air entendu.

5.2.06

Beautiful lies again.

C’est un monde à mi-chemin entre la vérité et le monde que l’on connaît. Il n’y a ni nuages ni soleil, que de l’ombre, à perte de vue, à perte de songes. Car on n’y voit que très mal, à la manière des chiens et d’autres mammifères qui n’ont pas su privilégier un de leurs sens. Et sous le soleil d’ombre, des lézards frigorifiés se pavanent tous membres crispés, sur le sable fin d’un désert.

C’est un monde à mi-chemin entre la vérité et le monde que l’on connaît. Il n’a rien d’un paradis comme la bible nous en parlait. Il n’a rien non plus d’un enfer dont les démons des immenses cathédrales nous effrayaient.

C’est un monde à mi-chemin entre la vérité et le monde que l’on connaît, et nous n’y comprenons rien parce qu’inhabitués, et jamais nous ne nous habituerons, c’est là le propre de la vérité ou de tout ce qui s’en rapproche : jamais ô grand jamais l’Homme ne voudra-t-il y aspirer, elle est bien trop grande, bien trop dure. Elle suppose trop de connaissances désavouées, trop de supputations abandonnées. Elle suppose une fin et un début, elle suppose le recommencement de ce qui n’a jamais été commencé, ni ne sera terminé, jamais.

C’est un monde à mi-chemin entre ici et la vérité, c’est un monde où tu te travestis humblement, où le monde n’est plus toi, ni moi, moi, c’est un monde, un ailleurs, où le monde n’existe plus. Un paradis sans nuages, un enfer sans feu, c’est une forêt vierge qui ne l’est plus sous nos pas qui se perdent dans l’écho des branches, c’est un univers clos qui se referme sur nous et nous laisse trop nous échapper.

12.10.05

encore.

Le problème de nos universités est de vouloir faire science de tout feu.

14.6.05

Le carrefour des mort-vivants

Et un jour, apparemment, on se relève. On ne meurt pas, gisant. On agonise, tout au plus, parfois longtemps, puis on se met debout et l'on marche. De toutes les fois où l'on se dit : «Ça y est, je meurs», rares sont celles où le sentiment se trouve avéré.

Or, seul, debout, avec plus personne au chevet, personne qui soit accroupi au dessus de soi, plus de fleurs sur la petite table, on n'a plus alors le choix que de se glisser les pieds dans des sandales de cuivre ou de fonte, puis de se mettre en route.

Déjà c'est un processus laborieux. Pour qui n'en a pas l'habitude, se relever de la mort n'est pas chose facile. Lapalissade. Grotesque. Les morts aujourd'hui sont mis sous verrous, avant d'être mis sous terre, alors imaginez! Il n'y a qu'aux fous à qui on donne des ailes -- de belles grandes ailes «H» de béton et de brique, spacieuses et hospitalières. Les morts vivants, ces nouveau nés aux pas pesants n'ont pas cette chance. Ils avancent lentement, autour du carrefour, n'anticipant aucune décision quant à la direction qu'ils prendront. Ils savent qu'ils tourneront, longtemps, rondement, et ne choisiront peut-être même jamais leur route.

Le carrefour des mort-vivants est un petit cimetière où des hommes et des femmes, qui hier forgeaient des structures incroyables, sont empilés à la verticale dans des cercueils verrouillés qui s'ouvrent par devant. Lorsque la pluie tombe en hordes de goutelettes serrées, on en voit de ces zombies rompre leur carapace de bois et de fer, pour se lever péniblement. En dépit de ce spectacle qu'on imagine effrayant, l'endroit n'est pas si lugubre. Seulement triste.

Triste comme un aéroport où tous les passagers partiraient pour toujours en bimoteur.

29.5.05

gisant


23.5.05

Leçon d'humilité.

Ce blog ne va nulle part. Si vous avez un peu de temps à tuer, tentez l'expérience de relire. C'est pas si long. Et vous vous demanderez peut-être : c'est bien beau, tout ça, mais où il voulait en venir, ce con?

J'ai un peu oublié.

On oublie tous.

Et ça aussi, je vais l'oublier.

Si l'auteur peut se permettre une intrusion : je ne me souviens plus de ce que je ressentais au début. Je ne me souviens plus de mon incompréhension. De ma haine. De mon refus catégorique. De ma dérision. De mon impossibilité. De ma frustration. De mon non-sens. De ma découverte futile. De mon implosion. De mon rhinocéros dans l'estomac. De mes papillons dans les cheveux. De la neige fondante. De la chiasse extérieure. Et intérieure. Je ne me souviens plus de la douleur.

C'est à regrets que j'aime.

À plus tard.

JP

8.5.05

Éloïse et le vide

Lui faire l'amour équivalait pour lui à s'extraire du monde. C'était un moment de calme, de paisible volupté. Dire qu'il s’étendait peut-être trop aisément dans sa confortable intimité ne serait pas mentir, mais dans un soucis de vérité, on l’accuserait plutôt de s’être bassement vautré dans une luxure dérobée lâchement à celle qui l’aimait. Et que lui, que lui feignait d’aimer, par la parole qu’il savait manier avec tant de facilité, et qui lui servait si bien pour obtenir ce qu’il désirait tellement : le vide.

Avec elle, il se sentait vide, et enfin libre. Elle était une voilure dorée sur des mats rouillés. Elle était un décor doux à l’œil sur une vérité sordide et brute. Une peau de soie sur le squelette du monde, rugueux et pourri de l’intérieur. L’accessible trêve d’un interminable cauchemar.

Lorsque leurs deux corps s’enlaçaient, c’était toujours à la lumière tamisée de l’ampoule électrique. Oh! Mais cela n’avait certes rien à voir avec le romantisme du cinéma hollywoodien. Il avait la caresse paresseuse et le baiser sec. Chaque geste relevait de l’automatisme, comme la routine quotidienne du retour à la maison. Il soulevait sa robe comme on ouvre la porte. Il lui caressait la nuque comme on retire son manteau, le dos comme on s’appuie sur la patère, pour retirer ses chaussures comme il lui retirait ses chaussures. Et leurs gestes s’enchaînaient toujours pareillement, et leur plaisir était toujours aussi sommaire, aussi anodin que de s’asseoir dans le fauteuil pour lire dans le journal la suite des nouvelles de la veille, pour, enfin, s’assoupir, confortablement bras contre le corps, mains sur le ventre.

L’aspect british de sa vie se traduisait par une très britannique notion du plaisir. Comme un plum pudding, simple et efficace. Lui, comme quelques électrons épars, dans la matière optimiste qu’elle était. Il l’aimait, tous leurs atomes étant vaguement crochus. Il l’aimait, leurs êtres tendant à la neutralité, l'expression du vide. Il avait besoin de sa charge à elle autour de sa vie à lui. Il l’aimait comme un homme plein de vide est attiré par le plein de plein, pour former le rien.

C’était, il importe de le dire par soucis de chronologie, bien après qu’il eut quitté le Jardin. Bien après que la neige eut à nouveau tombé. Bien après que des vents glacés eurent tout frigorifié. Encore.

7.5.05

Messe Dominicale

Pleurons sur notre jeunesse fuyante. Pleurons, oui, pleurons notre Églises esseulée, délaissée. Laissée à elle-même dans sa vieillesse et sa sénilité. Elle fuit de partout, notre Église, dans une irrespectueuse incontinence. Ô, notre haut, Haut Savoir de l'existence humaine est durement, sévèrement éploré. Pleurons notre solitude, ce matin, car Dieu n'habite plus le coeur des jeunes. Les Jardins que notre bon Père a aménagés en nous sont méprisés, mes pauvres vieux, parce que la jeunesse nous fuit.

Pleurons, et mourons, enfin.

2.5.05

PUBLICITÉ : les jours sombres

On ne vit pas dans une cour, dans un Jardin, fut-il fleuri.

tout Jardin, s'il est clos est une prison. Le personnage n'en est que plus crédible. L'auteur en perd goût de l'écriture.

Avant qu'ils ne me manquent, les mensonges existaient


- L'auteur

Jésus l'homme.

C'est qu'il faut voir comment tu légitimes ta dîme, comment tu attouches ta vie, attente à tes espérances pour un homme qui jadis est mort comme tant d'autres. Comment expliquer deux mille ans plus tard, plus tard qu'un seul homme, qu'un seul homme soit à l'origine de tant d'émeutes. En vérité, en vérité je vous le hurle, si les romains ont tué Jésus parce que les juifs ne les en ont pas empêché, alors meute d'hurluberlus, vous avez jouï d'une belle petite histoire, maintenant il faudrait peut-être cesser de nous entretuer pour Hansel et Gretel. Le dernier autodafé, je suggère que ce soit Saint-Pierre qui le réalise, mais alors tant de brûlures, tant de plaies pour un feu qui n'aura plus aucune explication, je l'admets, ce serait faute que de les détruire pour un seul homme. Conscientisons les masses, car son ignorance est lourde. Feu, Jésus quand mourras-tu donc?

Jésus n'est pas mort pour nous, il n'est jamais ressuscité, il s'est contenté de nous raconter une belle histoire, et croyez-moi, on n'est pourtant pas près de tourner la page.

Mais faudrait.

21.4.05

La vérité sur la mort

Mourir à douze ans, c'est pour quiconque inacceptable.
Mourir à dix-sept ans, c'est la vie qui se montre impitoyable.
Mourir à vingt ans, c'est impossible;

On meurt tous avant vingt ans.

9.4.05

Remontrances

«Je n'ai jamais Connu

[...]

«Non! Non! Je n'en veux rien Connaître

[...]

«et je l'ai regardé s'enfuir dégoûtée.»

T'es con ou quoi?


-G

4.4.05

Souvenir frugal.

Elle était, de son côté de vitrine, appelée à me reconnaître. J'étais, de mon côté de vitrine, malade, saoul, de la vie qui vous recrache toujours au visage des pousses d'herbe prémastiquées. La vie devant l'amante se fait lama.

Et comment charmer encore quand les reflux gastriques giclent à vous en humecter le dos?

Elle était là et j'étais aveuglé par ma propre mort, incertaine mais prochaine. J'échafauderais des tours comme on construit de mensonges une cité d'envergure toujours trop modeste... Montréal pue à l'aube et au printemps; c'est que la Vérité est aussi laide que le Quotidien

Merde! Elle était là, et moi je me vautrais dans ma propre déchéance, avec l'espoir d'élévation.

C'était en septembre de pluie, aux abords de cette cité qui me ressemble tant, à un sandwich près d'entrer dans ce faubourg surpeuplé de professeurs qui se confessent à eux-mêmes leur fatalité et de confesseurs qui professent à tout vent leur futilité. J'irais m'abandonner au beau milieu d'un immense Jardin où les sages monologuent et les fous arborent un sourire édenté. Je devrais croire et mourir.

J'eus pu choisir autrement. Mais j'étais lâche. Paresseux comme on l'est quand l'ivresse nous gagne et que l'on ne comprend plus le sens de l'effort que lorsqu'il est question d'aller au lit. Satan, l'ivresse et l'amour. Et sur ma langue déferlaient des torrents d'une salive âpre. J'aimais bien vivre, avant de mourir.

En Quotidien, en Quotidien, je vous le dis, je n'ai jamais Connu, je n'ai jamais érigé de tour, jamais gravi d'échelle de corde. Je n'ai jamais senti mes pieds s'enfoncer dans un sol de goudron, je ne me suis jamais senti repus d'avoir bouffé l'herbe sous mes pieds. Jamais non plus je n'avais été malade avant de goûter aux déplaisirs de l'illusion.

J'étais un enfant des marionnettes à l'écran, j'étais un gosse de la piscine gonflable qu'on emplissait trois fois semaine. J'étais le kid à la balançoire bleu et blanc, le salopard qui dévissait les boyaux chez le voisin. J'étais jeune connard, crapule qui hurlait des obscénités aux bonnes femmes du dépanneur, parce que la hausse du prix du bonbon à 5 sous. J'étais le «reject» de la maternelle au collège, qui fondait en larmes pour un surnom indigne, j'étais marmiton, apprenti sorcier, architecte et cycliste, impudent, imprudent, impudique. J'aimais tout sauf les concombres, les carottes, les tomates d'hiver et les pois en conserve. C'est de la bouette ce truc là.

Puis rien. Un jour j'ai pris l'autobus et dans un Deli où l'on ne me servit rien qui fut délicieux, je lui fis face, à elle, de l'autre côté de la vitrine. Elle est du genre qui vous fixe au sol en puant d'émotion. Elle est une putain de tasse de lait chaud dans laquelle on se noie. Et ça sent le miel et autres victuailles qui beurrent et coulissent. Par la porte de secours, on voudrait fuir son propre baptême. Non! Non! je n'en veux rien Connaître!

- Colmatez cette fuite, entretins-je à l'homme d'entretien, je me suis éclaboussé le front d'H2O et de phosphate chloridrique, si ça se peut. Lui, de ne rien plus comprendre que nous, se contenta de passer son chemin jusqu'à la prochaine bouse.

Non je ne me suis jamais baptisé, ce n'était qu'une éclaboussure.

Alors j'ai pris sur moi, et je me suis répandu en bile hargneuse, parce que trop imbécile, et hagard je l'ai regardé s'enfuir dégoûtée. C'est si facile de vomir «je t'aime-quand-même-je-m'excuse-resteras-tu-quelques-instants-encore-que-je-retire-mes-paroles-non-alors-laisse-moi-te-dire-que-...-zut-elle-est-partie-je-vais-me-réfugier-dans-ce-roman-qui-parle-de-Nietzsche-comme-d'un-vieil-ami-du-canton-sud-pendant-que-le-poilu-derrière-le-comptoir-passe-la-serpillère-sur-ce-qui-ne-reste-plus-de-ma-vie...»

* * *
Ce qui vous trouble en cet instant, c'est que le cinéma américain nous a habitué aux personnages qui se réveillent quand tout devient insupportable, pas à ceux qui s'endorment. Les amerloques ne sommeillent jamais sur la beauté, ils se contentent de la baiser.

3.4.05

La mort dans la palme.

Mon chef spirituel n'est pas mort. Il vit. je le sens dans mes trippes. Je le sens dans mon corps. Il est bien présent. Il est.

Cessez de me dire qu'il est mort. Cessez de me répéter qu'il n'est plus. Cessez de pleurer comme des idiots, vous n'avez de toute façon pas mal. Je suis passé devant le Jardin où j'ai vécu si peu. J'ai regardé droit devant, là où le chemin se transforme en circuit de F1. J'ai couru, respirant à pleins poumons l'âpre fraîcheur du matin. Non, il n'est pas mort. Je l'ai senti dans mes poumons. J'ai respiré son haleine fétide. Je sais.

Le savoir est la mesc du peuple.

Alors je n'ai plus de doute, le mort existe encore.

- F.

11.3.05

Sur un barreau de fer peint en noir

Les deux mains collées sur un barreau de fer peint en noir. Les deux bras en extension perpendiculaire à cette clôture qui ceignait le Jardin, j'étais une protubérance de la ceinture. Moine en jeans et chemise blanche, je disais malandrin défroqué, un ventre flasque, une conséquence de mes gavages intellectuels.

Des échassiers, des bouffons et des lions parcouraient les chemins asphaltés qui liaient encore à cette époque le Jardin au reste du monde. Ô découverte! ô Vérité révélée! Dans une absolue fermeture d'esprit, j'en avais oublié que par là même où j'étais entré existait une voie de sortie, une voie de retour, sans détour : un chemin direct entre ici et là. L'aller-retour est possible, entre la Connaissance et le Quotidien. Suis-je bête!

Échapper aux murailles du Savoir exquis et doucereux n'est pas une quête incertaine. C'est une aspiration normale, commune et réalisable, à condition d'efforts minimes et de force morale.

Les deux mains collés sur un barreau de fer peint en noir. Un mur translucide et pourtant imposant, insurmontable et pourtant on y passe aisément un ou deux bras. Malgré l'impressionnante construction, il suffit, pour sortir du Jardin, de passer par la grande porte.

J'en informai mes compères, d'un cri abrutissant. Un écho de crystal vibrant me répondit: le Jardin était déjà vide.

Le Jardin

Photo: Claudio Calligaris, McGill University

6.3.05

La Vérité sur la Connaissance (ou comment quitter le Jardin en trois mouvement sans avoir vraiment tout compris)

Premier Mouvement: immobilisme
J'en appelai à l'intelligence de l'Humain. À son entendement. Il eut fallu pour vivre remodeler tout et puis non. Il eut fallu pour vivre que l'on n'existât pas, d'abord, et que l'on naquît, incidemment, tous le même jour.

C’était donc que nous ne vivions pas véritablement. Que l’empêchement était plus fort que la volonté. Une colonie de moines, dont les vœux écrasaient le souffle de vie, erraient dans les coulisses jaunâtres du savoir. Chaque élément que l’on connaît perd soudainement de son intérêt, car ce n’est plus l’objet d’étude qui nous émerveille, mais le fait que nous connaissions cet objet, notre compréhension de son fonctionnement.

Prenez une forêt vierge que l’on explore : les premiers pas qu’on y fait sont animés d’une passion, d’une volonté impressionnante de tout connaître. On veut comprendre l’écosystème, dénombrer les espèces qui y habitent. Et chaque découverte est belle et émouvante. Mais lorsqu’on la connaît, lorsqu’on l’a analysée de fond en comble, que chaque parcelle de terre a été remuée et chaque race d’oiseau étiquetée, alors on se félicite de tout ce beau travail, on lève le camp et on coupe la forêt pour en faire du mobilier de chambre à coucher. On s’en fout, une fois qu’on connaît, de connaître. C’est acquis, passé.

Le savoir n’est donc pas une issue à la question de l’existence, car il détruit la beauté intrinsèque de l’être encore inconnu. Pire : on peut savoir qu’on sait. Alors on ne s’intéresse plus même au fait de connaître. Blasé, ennuyé, on se terre et on se tait.

Voilà où nous en étions. Entrés au Jardin depuis trop longtemps, et côtoyant chaque jour le savoir et ceux qui savaient, ces constructions mentales et physiques n’avaient plus de sens que dans l’absolu dimensionnel. Vingt mètres de haut, sur sept de large et dix huit de profond : la chapelle de la géographie. Trente-trois par quinze par quarante : le temple de la sociologie. Rien ne restait plus de l’importance perçue de ces matières, qui nous avait autrefois poussés à creuser des fondations, et à cimenter les premières pierres...

Deuxième mouvement : mobilisation
Lorsque je descendis les marches, ce matin enneigé, je ne découvris rien d’autre que la routine qui avait suivi son cours sans la cloche. La routine. Tous avaient continué normalement leurs activités, et rien ne leur avait fait remarquer l’anomalie. C’était signe que tout allait rondement, et inutilement, vers une fin médiocre parce qu’elle devait s’imposer à des moines, adeptes du savoir et pourtant inconscients de leur propre réalité. Inconscients qu’ils se blasaient, avaient cessé de s’émerveiller, ne vivaient plus. Pensaient.

Je sus qu’il ne servait plus à rien d’aspirer à quitter le jardin, qu’il suffisait de mettre un pied devant l’autre et d’aller vivre ailleurs. Car vivre, vivre vraiment, ici, était impossible. On en savait bien trop.

J’en appelai à l’intelligence de l’Humain, à son entendement. « Sachez, mes frères, que vous vous leurrez, si vous pensez que le savoir vous apportera bonheur. Elle est bien douce, la voix de la connaissance, suave et surtout réconfortante. Elle ne vous inquiète pas, et vous borde gentiment tous les soirs. Elle vous raconte éternellement l’histoire du monde.

« Or, souvenez-vous des jours anciens. Souvenez-vous de votre première poignée d’herbe, que vous avez arrachée au sol de ce Jardin pour l’ingurgiter goulûment. Souvenez-vous de son goût. Souvenez-vous combien il vous avait surpris de constater qu’elle était bonne, cette herbe.

« La goûtez-vous toujours lorsque vous l’avalez? Reconnaissez-vous les variantes? Sentez-vous sa texture plus ronde lorsqu’il a plu? Et son goût plus acide, près des grandes portes, le percevez-vous?

« Maintenant pensez à ce que vous savez. Pensez combien vous étiez émerveillés lors des premières messes auxquelles vous avez assisté, qui célébraient le savoir. Mais les jours et les prêtres austères vous ont ternis, chers collègues. La raison en est fort simple. Vous êtes habitués.»

J’en appelai à l’intelligence de l’humain et je leur fis part de mon raisonnement. Quelques uns comprirent. Il fallait quitter avant que le savoir ne nous assomme, et nous tue. Nous étions avant tout, sous la soutane, sous ce noir si lourd, nous étions des femmes et des hommes. Nous étions la vie, mais nous ne l’incarnions plus, nous nous contentions de la connaître.

À cela on acquiesçât généralement, pourtant des objections percèrent.
– C’est pareil dehors, seulement là-bas, on ne sait pas. Je demandai en quoi il pouvait en être de la sorte à l’extérieur. Comment on pouvait se blaser si on ne faisait que vivre.
– Les pieds collés au sol, la lumière crue du jour dans les yeux, et l’incompréhension. Ces gens-là, dehors, ne voient rien, devraient faire d’immenses efforts pour bouger et n’en voient pas l’intérêt parce qu’ils ne savent pas, me répondit le moine réfractaire. Il faudrait tout remodeler.
– Dis-moi, il faudrait donc pour vivre que l’on n’existe pas, lui demandai-je. La salle se remplit de murmures d’incompréhension. J’élaborai. Puisque le premier obstacle est le corps, il faudrait, pour agir, pour bouger, pour avancer, que l’âme puisse voyager et évoluer sans le corps.
– Il y a aussi la paresse.
– Qui émane du corps, rétorquai-je. Je ne pouvais pas véritablement contredire ces arguments. La vie, tant au Jardin qu’à l’extérieur, ne pouvait être invitante que si on y accolait une raison d’être valable. Or, chaque fois que quelqu’un croyait y trouver un sens, d’autres, plus anciens, expliquaient comment ils y avaient déjà songé, et comment ils avaient compris un peu plus tard que telle justification de l’existence était illusoire, que telle aspiration était vaine. Vraiment, il eût fallu pour vivre que l'on naquît tous le même jour.

Troisième mouvement ...
Une cloche. Au loin. Ça n'en était pas une du Jardin, le son provenait de la ville. Déjà la douce illusion de mon arrivée au Jardin me manquait. Déjà le Jardin me manquait. Comme elle est douce, la berceuse du Savoir ; je le reconnais, maintenant. Ce qu'elles sont belles, les Cathédrales en plein soleil. L'effort me donnait déjà peine à souffler. Ce qu'elle est lourde, la conscience, lorsqu'elle vous tombe dessus. Bien plus lourde que la Connaissance.

4.3.05

Une partie de la vérité

Les gens sont en général beaucoup plus motivés à vous expliquer comment eux ont échoué qu'à vous aider à réussir...

13.2.05

La quatrième lettre (l'extrême onction)

Le clergé a bien pu s'embourber dans plein de mensonges, c'est trop facile de construire pierres sur Pierre plein d'églises. Le savoir est une pierre. Froid, gris, lourd et pas toujours beau. Voilà. À quoi bon ériger des cathédrales, on sait bien qu'un jour ou l'autre, le soleil ne les éclaire plus de la même façon et leur beauté meurt en même temps que notre foi.

Je n'ai plus foi. Je ne crois plus. Cette histoire est l'essence même de la religion. Un beau mensonge auquel on a cru et qui mourra dans une dégénérescence honteuse. Mieux vaut lui administrer l'extrême-onction anticipée. Meurs, christ. Je t'offre la vie éternelle dans l'au-delà, pas ici.

Je t'enterrerai dans ton trou au fond du Jardin que t'as tout défiguré, Savoir de Christ. Que repousse l'herbe et qu'il ne reste plus des cathédrales que quelques ruines que l'on fera visiter aux touristes français qui n'en auront jamais vues d'aussi grises.

Je descends sur le bitume, malandrin défroqué. Ça colle. Ça sent le goudron. C'est sale. C'est la rue Victoria.

Je vais mieux.


-G

Un matin où la cloche n'a pas sonné

J'avais pris l'habitude en ces jours de me réveiller un peu avant le soleil. Je me rendais aux matines, suspendu par un lacet qui s'était trouvé dans ma main aux hasards d'une randonnée. Alors qu'il n'était, le jour où je l'avais adopté, qu'un petit lacet de soulier, il avait grandi pour devenir une longue corde solide, qui permettait de sonner une cloche.

Les débuts de journée s'étaient crystalisés en une routine simple. J'ouvrais les yeux et je glissais le long de la corde, en freinant brusquement à distance égale, sonnant ainsi la cloche qui se trouvait à l'une des extrémités. Mes collègues, amis, répondant au vacarme religieux et fidèles comme le chien de Pavlov, venaient avec moi s'abreuver au premier office.

* * *


Vint une longue nuit d'insomnie, puis un matin, où je ne savais plus... Tout s'entremêlait, et l'heure du lever ne vint jamais, ou trop vite, même encore, je ne sais plus.

Le soleil brillait, mais il faisait très froid. Quelques flocons dans les ouvertures du clocher. Je me suis passé la tête dans l'une d'elle. Une bourrasque de vent m'a glacé les tempes. Le regard fiévreux sur le jardin... Je ne vis pourtant plus rien que des flocons, entassés, sur un chantier, une mine à ciel ouvert. Le centre du jardin était une cicatrice. Une plaie, béante, au milieu de cathédrales qui s'élevaient. On ne distinguait plus le niveau du sol. Il n'existait plus. On ne distinguait, par ailleurs, personne, dans le jardin.

Le lacet, la très longue corde qui devait sonner la cloche n'était plus en poste. Plus précisément,il ne restait plus que le noeud, fixé bien solidement à la cloche. La corde s'était rompue quelques centimètres plus loin. je descendis par l'escalier de pierre.

La troisième lettre

J'ai pris à droite, au sortir de la première cathédrale. Il se faisait tard. C'était une erreur, une minable erreur de parcours, un oubli, une confusion trop passagère. J'étais seul, j'étais hors de la vue de tous, j'étais hors de mon propre regard. J'ai péché, mon père. J'ai oublié.

- G.

6.2.05

Les tours du Jardin

Le savoir m'imprégnait, entrait en moi par chaque pore de ma peau. Je le consommais, je m'y vautrais. Mon esprit et mon temps étaient exclusivement consacrés à l'acte d'acquérir la connaissance. Je n'avais plus pour seule ambition que de faire miennes les notions de chaque discipline. Je n'existais plus qu'en puissance : j'étais un potentiel dictionnaire, l'Encyclopédie, une base de données, une bibliothèque d'archives et de calculs, prête à régurgiter. Je ne connaissais plus le goût de la bile, mais sa composition exacte.

J’organisais et j'empilais les connaissances de manière à ce qu'elles forment de nouvelles cathédrales, qui s'élevaient chaque jour autour du Jardin. Leurs clochers étaient d'immenses tours, infinies, d'où contempler l'univers connu de l'Homme. Ici, l'Amazonie, et là, le Taj Mahal. J'avais tracé les constellations sur des feuille de verre, et les cellules végétales étaient gravées dans la pierre d'un clocher.

Montréal, à cette époque, ne vivait plus. C'était une carte, c'était la ruine ou une série de calculs, de statistiques. Ce pouvait être aussi une île d'Amérique du Nord ou Ville-Marie, où jadis Maisonneuve avait pesté contre le froid et les accumulations de neige blanche. L'extérieur du Jardin n'avait rien de ce Montréal. Il était sale. Noir. Goudronné. On y voyait encore des échelles de cordes, vieilles et usées. On les sentait honteuses lorsqu'elles apparaissaient près d'un clocher. Elles n'étaient qu'un leurre de facilité; il fallait construire des escaliers pour s'élever.

Et je taillais la connaissance à même le sol, et le Jardin se découpait en reliefs. Mes collègues, amis, les êtres bestiaux, me servaient de point d'appui pour extraire de la Terre ses plus lourds secrets, que je portais à bout de bras au sommet des Cathédrales, afin qu'on les vît bien exposés.

En ces temps, le soleil rayonnait toujours et se fracassait sur les hautes tours du Jardin. Je me nourrissais d'herbe et de savoir, et j'étais vêtu de longs tissus noirs luxueux et confortables. Le soir, je m'endormais au sommet des Églises.

4.2.05

La deuxième lettre

J'avais faim. Je regardais les êtres bestiaux se nourrir et j'y ai cru. Mais l'herbe est un aliment malsain. L'herbe n'est pas un aliment. Tout ce dont on peut se nourrir ici donne la nausée. On ne peut pas se nourrir, ici. Il n'y a que la bile, et elle circule en sens inverse.

- G

Le Jardin II

J'ai erré longuement au jardin.

Je me réveillais tôt, le matin, pour observer les êtres bestiaux trouver leur pâture. Bientôt, je fus des leurs, me nourissant d'herbe tendre et de prières. J'avais appris à différencier l'herbe douce de l'amère. Mon goût se développait, se raffinait, et je savais désormais où, dans le Jardin, trouver le gazon que je préférais.

Il en allait de même pour les prières. Des prêtres enseignants de tout acabit disaient les messes, en latin, en grec, et parfois même en hébreux. Et j'étais libre de choisir celles que je voulais entendre. J'eus tôt fait de croire en Dieu, sous ses différents aspects.

Il était, je dois l'admettre, beaucoup moins engageant d'avoir des dettes envers quelqu'un que je ne verrais jamais, ou alors beaucoup plus tard, que de m'imaginer responsable de ma propre vie. Dieu, dans sa perfection, ne me demandait rien d'autre que mon amour, et en revanche, m'accordait tout à crédit.

Le Jardin était chaque jour plus magnifique, et se chargeait de couleurs. L'herbe avait atteint sa pleine maturité, et toute son amertume avait laissé place à un léger goût sucré. Les différentes chapelles s'étaient transformées sous le soleil ardent en de hautes et resplendissantes cathédrales, dont les pierres éclataient de reflets roux et dorés. Leur intérieur s'illuminait, par des centaines de vitraux, qui nous faisaient voir toute la connaissance acquise jusqu'à ce jour par l'Homme.

Lorsque le soir tombait, je recopiais inlassablement les écrits des Anciens dans de nouvelles reliures, que l'on pourrait transmettre aux générations futures afin que le Savoir ne se perdit pas. Grâce à Dieu et ses représentants sur terre, mon existence n'était pas vaine : je trouvais une pleine valorisation dans l'idée que je puisse contribuer à maintenir l'humanité dans l'état de bonheur où je vivais moi-même.

Par ailleurs, les êtres bestiaux m'étaient devenus sympathiques. Je les appelais maintenant «collègues», «amis». Mon amour pour eux était la seule condition à la splendeur du Jardin et à la grandeur de ma vie. C'est du moins ce que je croyais.

* * *


Je me rendais chaque matin aux abords de l'océan goudronné, et me laissais imprégner par l'air malin des vagues de la grande ville. Mon bien-être était incontestable, mais je savais pour l'avoir vu jadis que tout l'univers ne se résumait pas au Jardin. J'aspirais, j'aspirais toujours. À comprendre comment sortir du Jardin, en l'emmenant avec moi outremer.

Ne trouvant aucune réponse, le regard fixé sur l'horizon de crystal dépoli, je songeais à tous ces gens qui, les pieds englués, demeuraient immobiles. Je retournais au Savoir, constatant qu'il me fallait encore en acquérir pour faire du monde un immense Jardin.

3.2.05

La première lettre

Voilà quelques temps que je suis au Jardin. J'ai découvert, au centre de flots humains, une épave de petite chapelle de pierre. Grise et froide comme la messe en latin, elle s'effondre au gré de la pluie qui coule maintenant sur le Jardin. Le ciel et les êtres bestiaux préfèrent se réfugier à l'intérieur des bâtiments. La laine des moutons est de plus en plus grise et leur pâture, de plus en plus humide.

Un air lourd et chargé m'est tombé sur la tête. J'en ai des ecchymoses, mais heureusement, le coup est parti dans une autre direction : je suis épargné. J'ai la vie sauve.


- G.

28.1.05

Le Jardin

L’impasse flagrante, j’ai renoncé au corps du christ et j’ai quitté le restaurant comme le païen quitte le temple : l’estomac noué et le regard bas. Dans l’extérieur humide et froid, un mendiant m’a tendu une main sèche. Exil. J’ai levé les yeux au ciel et les y ai laissés. Des stries blanches sur un ciel gris. Je me suis endormi en marchant tête haute.

Le ciel avait des couleurs de honte, et dans une lumière éblouissante, plein d’échelles de corde se dressaient des trottoirs de béton jusqu’aux limbes. Si l’on devait s’approcher de l’une d’elles, elle devenait rouge, puis fondait, laissant sur le sol des taches de goudron. Plus j’avançais, plus les rues de Montréal se goudronnaient. Il devenait bientôt impossible de lever les pieds, les semelles collées au sol.

Trop jeune. Encore un enfant. Poursuivre la route. M’élever. Je me suis déchaussé, et en gardant dans une main un lacet, me suis envolé. J’ai pleuré de la bile sur Montréal goudronnée, sur les voitures enchâssées les unes dans les autres, sur les passants qui circulent endormis, tête haute. Je venais de naître, mais dans une conscience adulte, rien de ce monde ne m’exaltait. J’avais faim. Que ne me donna-t-on pas le sein ?

L’autobus 125 ouest s’est arrêté là où le lui commandait un panneau d’affichage. J’y suis monté, et, assis dans le premier banc, j’ai écouté le conducteur m’expliquer combien inefficace son syndicat pouvait être pour lui négocier une augmentation de salaire.

- Je compatis, vraiment. Mais vous ne sauriez pas où je peux trouver un grand jardin tranquille ?

Visiblement irrité, il s’est rangé sur le bord de la rue et m’a pointé la droite. Je me suis levé.


- McGill. Un grand jardin avec des grandes portes. Des grands noms, des grandes connaissances pis des grandes aspirations. Terminus !

* * *

Une chaleur réconfortante sur ma peau. Les pas du troupeau sur le sol autour de moi. L’herbe du pâturage était fraîche et légèrement humide. J’ai ouvert les yeux et des rayons de soleil perçaient au travers des nuages. Non loin de moi, un étudiant arrachait du gazon à pleines poignées et le portait à sa bouche. Quelques rires.

Sur les vallons avoisinants, d’autres étudiants, d’autres poignées de gazon, d’autres rires. Puis quelques bergers qui déambulaient l’air paisible, pour quitter le Jardin par la grande porte. Il me sembla invraisemblable qu’on quittât cet éden, à moins peut-être d’avoir compris. Il fallait, oui, avoir un certain entendement, un certain intellect, à tout le moins une curiosité remarquable, pour quitter le Jardin. Il fallait aspirer.

J’ai inhalé toute la fraîcheur de l’air, à m’en donner des sueurs. J’aspirais, oui, à la conscience. À ce que mon corps sentît, mon esprit interprétât. J’aspirais à aimer le goût de l’herbe, pour mieux comprendre, pour plus vite quitter. Mais en vain, la végétation se moque bien de l’être bestial, car elle se sait indispensable à sa survie dès qu’il y goûte.

Je songeais maintenant aux échelles de cordes et je les aurais trouvé inappropriées si elles m’étaient apparues soudain comme plus tôt elles l’avaient fait. Mais je voyais, en contrebas des vallons du Jardin, quelques rues goudronnées et j’ai vite fait de comprendre qu’à défaut d’être bien chaussé, le Jardin était le meilleur refuge.

27.1.05

La première eucharistie (suite)

J'avais envie qu'un événement hors de l'ordinaire survienne, rapidement. La naissance ; garante de nouveauté. La beauté commandait pourtant que la suite des choses se présente à point, plus tard. Mais l'homme est un fauve affamé qui court derrière sa proie jusqu'à ce qu'il sente la chaude satisfaction rouge couler de sa bouche. Tant que les crocs de l'homme n'ont pas mordu, il erre à la recherche impatiente de son pain quotidien, de sa mie.

La foule se dispersait, mais une. Et son hésitation à se sauver trahissait toute sa volonté de se sentir exister. Elle se livrait, proie facile à mon coeur affamé, dans toute sa laideur impersonnelle. Fabulation, que tout ça, et pourtant... pourtant, je sentais déjà son coeur battre un peu trop fort et un peu trop près du mien. Son odeur douce et insistante me grisait. Sa chaleur moite me répugnait. Les yeux clos, le monde a vacillé. J’étais ivre et dans un spasme, l’omniprésence envahissante de la passante au regard trop attentif me fit vomir toute la bile que j’avais pu me faire, l’espace d’une vie.

Je n'avais pas encore mis la main sur mon sandwich, pas encore avalé une bouchée. Le monde n’avait pas encore de goût dans ma bouche, mais je savais que la bile serait le choix du chef pour quelques éternités encore...

26.1.05

La première eucharistie

Lorsqu'on veut célébrer l'eucharistie en milieu urbain, soit on vole un pain, soit on l'enfourne soi-même. Inutile de compter sur quiconque pour nous le donner, même les églises sont privatisées. Cherche-t-on un sourire? On préfère nous aviser de sa gratuité. Juste au cas. Ah! mais le baptême, lui, est sans prix. Me voici immortel et immortalisé en première page d'Écho-peuple. Joie. N'empêche : le vedettariat creuse l'appétit, alors je détourne mon regard du curé de verre et m'engouffre dans la multitude jusqu'au comptoir sandwich.

- Non, pas de pain plat, me dit le commis
- Sec alors?
- Tout est frais, aujourd'hui, précise-t-il.

Tant pis je me contenterai d'une baguette, brie jambon, s'il vous plait. Je vous offre la paix. Le gant de latex poudreux en indice de superficialité. Propre, à tout le moins. Je détestais qu'on me mette le pain sur la langue de toute façon, pour la connotation sexuelle désagréable. Jamais content.

Quant à la communauté, elle est en file derrière moi et s'impatiente. Je l'indispose, c'est l'évidence. Le restaurant n'est pas un lieu de rencontre, c'est un lieu de service. Ah! bon. Pardon? Dieux vous aime.

Je paie et vais m'asseoir, me recueille au comptoir devant la vitrine. Économie d'espace, mais j'ai un public. Non, non, je ne suis pas mort, je réfléchis! Foule stupéfaite, se disperse, mais une...

25.1.05

Le rituel

Je suis donc né de la pluie qui tombait sur Montréal en cette froide matinée de septembre, naïvement. Sans bagage et nu. Je me dirigeai d'abord vers les toilettes, lieu de prédilection pour se constituer une quelconque personnalité au milieu d'une ville surpeuplée. J'ai fait mine d'assécher le liquide amniotique sur mes cheveux noirs et courts, puis le prêtre effacé et flou dans la glace m’a baptisé d'eau chlorée et malodorante. Je n’ai pas pleuré, et on m’a pris en photo.